Les hommes étant presque tous des marins dans ma famille, aussi bien du côté maternel que paternel, lorsque j’ai appris l’existence du Service Historique de la Défense et ce qu’il renferme, à savoir entre autres les informations des inscriptions maritimes, j’ai compris que ce serait la première destination dans les archives à consulter pour la rédaction de mon mémoire… Et quelle découverte !! Si vous avez des marins dans vos familles, il n’y a pas à hésiter : c’est la caverne d’Ali Baba !!
Les inscriptions maritimes
Les inscriptions maritimes renferment depuis 1795 les noms de tous ceux qui naviguent et pêchent, en mer comme sur les rivières : mousses, novices, matelots, officiers mariniers… Avant cette date on parlait du système des classes créé en 1668 par Colbert. Les deux systèmes sont similaires. Grâce à eux les marins sont suivis à la trace par l’administration jusqu’à leurs 50 ans, âge auquel ils peuvent bénéficier d’une pension de retraite… Un système de retraites précurseur…
Jusqu’en 1952 les marins ont obligation de servir périodiquement sur des bâtiments de guerre ce qui explique la conservation de ces archives au SHD.
Sur le site du Service Historique de la Défense se trouvent toutes les informations nécessaires pour savoir vers quel port se diriger. Concernant les inscriptions maritimes dans les Côtes d’Armor, il s’agit du site de Brest.
Que découvrir ?
Lors de mon premier déplacement à Brest, j’ai eu l’impression d’être la petite fille qui découvrait pour la première fois l’acte de naissance ou de mariage d’un ancêtre il y a 20 ans : un pur bonheur que nous avons partagé à 2 puisque mon conjoint a découvert la généalogie par ce biais là !!!
Et notre visite a été extrêmement fructueuse. Grâce à la gentillesse des personnes du SHD, à leurs explications et à leur aide, nous sommes passés très rapidement d’un univers inconnu à une véritable chasse au trésor : d’une table à une case matricule qui renvoie vers une matricule précédente ou ultérieure et ainsi de suite pendant toute la carrière de la personne recherchée. La case matricule donne les dates précises d’embarquement, la fonction à bord , les blessures, les campagnes effectuées et les noms de bateaux, lesquels présentent leur équipage complet à travers les rôles d’équipages ou rôles d’armement, la vie à bord pendant la traversée, les disparus en mer, les décès, les passagers…
Au delà de l’intérêt certain pour l’administration vu plus haut, cela nous permet aujourd’hui de mieux comprendre l’environnement familial, économique et social dans lequel évoluaient nos ancêtres.
La seule déception de la journée ? Que celle-ci se termine, qu’il faille rentrer… comme à chaque visite aux archives d’ailleurs…
Quel syndicat ?
Avant d’ouvrir un registre d’inscription maritime, il est nécessaire de connaître le quartier et le syndicat auprès desquels mes aïeux sont inscrits. Les inscriptions se font en fonction de la commune où se trouve le domicile, chaque paroisse puis commune étant rattachée à un syndicat. Les ordonnances de la fin du 18ème siècle, les états puis décrets au 19ème définissent ces quartiers et syndicats.
Ainsi pour mes ancêtres maternels, la commune de Tréveneuc change plusieurs fois de rattachement. En 1734 elle est attachée au quartier de St Brieuc. En 1800 elle est rattachée au syndicat d’Etables, puis en 1846 à celui de Portrieux toujours dans le quartier de St Brieuc. Le syndicat de Portrieux change de quartier en 1882 et est rattaché à celui de Binic. Au 20ème siècle il y a création du préposât de Portrieux, rattaché au quartier de Paimpol puis sa suppression et enfin en 1946 création du syndicat de Saint Quay Portrieux attaché au quartier de St Brieuc.¹
Comment retrouver ses ancêtres ?
Une fois le quartier et le syndicat définis, comment chercher ? Voici l’exemple de Pierre Marie.
Pierre Marie Collin, né le 22 décembre 1842, embrasse la carrière de marin comme l’atteste les actes d’état civil le concernant.
Pour le retrouver dans les registres d’inscription maritime il faut commencer par les registres des matelots, après ses 18 ans, car tous ne sont pas systématiquement mousses ou novices. Etant né en 1842, Pierre Marie a 18 ans en 1860. Il faut donc rechercher la matricule ouverte avant 1860 donc la matricule de 1850. Les matricules sont ouvertes régulièrement et de manière uniforme sur tous les quartiers.
A cette époque nous sommes dans le quartier de St Brieuc, syndicat du Portrieux.
Une fois la table alphabétique parcourue, on arrive à la case le concernant. Sur cette case sont indiquées la case du précédent registre (ici les mousses) et celle de la matricule suivante.
La carrière de Pierre Marie Collin
Voici donc le résultat, sous forme chronologique, de mes recherches sur la carrière de Pierre Marie Collin, des recherches à compléter bien sûr…
Dans les registres d’inscription maritime, Pierre Marie apparait dans les tables des mousses (les mousses ont entre 10 et 16 ans)¹ de la matricule ouverte en 1850, folio 238, case 251. Il a donc commencé à naviguer un peu avant l’âge de 16 ans puisqu’inscrit chez les mousses. Toutefois le registre des mousses étant en partie lacunaire pour cette période il n’est pas possible d’aller plus loin sur cette partie de sa carrière.

4P3 125 – Registre des novices – COLLIN Pierre Marie
Le registre des novices (entre 16 et 18 ans)¹ dresse le portrait de Pierre Marie : les cheveux et les sourcils châtains, le front ordinaire, les yeux bleus, le nez et la bouche moyens, le menton rond et le visage ovale, il mesure 1,63m. Il est inscrit le 5 janvier 1859 au registre. Ses services antérieurs en tant que mousse l’ont amené à passer 5 mois et 19 jours en mer au service du commerce.
En tant que novice il passe 10 mois et 21 jours en mer en faisant deux campagnes : l’une sur le Alexandre et l’autre sur la Paix. Le 19 juin 1861 il passe aux matelots à l’âge de 18 ans. Le registre renvoie vers le folio 3231, case 961.
Le registre des matelots¹ donne le détail de ses embarquements. Le 1ermai 1861, il embarque à St Malo. Il passe 4 mois et 25 jours en mer pour le service du commerce. Le 2 novembre 1861, il embarque de nouveau à St Malo sur le Bon Père, navire de cabotage, et passe 2 mois et 8 jours en mer.
Le 1er février 1862 alors qu’il approche de ses 20 ans, dispensé de service militaire en sa qualité de marin², il est levé à Binic pour Brest, inscrit au numéro 1375. Le 1er mars il passe à la division de Toulon, est passager sur l’Iphigénie, puis embarque sur le Montebello le 1er juin 1862 et débarque le 1er janvier 1863. Le 7 mars il passe à la division de Rochefort et le 12 est embarqué sur le Palestro, batterie flottante. Le 7 avril 1864 il est débarqué et passe sur la Mégore. Entre temps Pierre Marie est passé canonnier breveté 1èreclasse. Quels ont été les itinéraires et les missions de ces navires ? Pour répondre à cette question il est nécessaire de retrouver les rôles d’équipage ou les journaux de bord. De nouvelles recherches à Brest, Toulon ou Rochefort sont donc à envisager.
Une matricule est ouverte en 1865, mais le registre du syndicat de Portrieux est lacunaire pour les inscrits définitifs, nouvelle dénomination des matelots. Une matricule est de nouveau ouverte en 1883¹. On retrouve Pierre Marie folio 1549, case 3098. Ce registre nous apprend qu’il était bien inscrit sur le registre de la matricule précédente sur le folio 1759, n° 518, registre lacunaire. Il est matelot 2ème classe depuis le 1er juillet 1865 puis patron de petite pêche. Voici l’état de ses services complété par le registre suivant des hors de service (les marins de plus de 50 ans)¹.

Liste des embarquements de Pierre Marie Collin entre 1883 et 1894
Le 1erjanvier 1895 il est demi-soldier, pensionné de la marine. Sa carrière fait donc état au total de 72 mois et 4 jours au service de l’état, 101 mois et 14 jours au service du commerce et 154 mois et 24 jours au service de la petite pêche. Il touchera cette retraite jusqu’au 1er septembre 1900, date de son décès, date transmise par avis du Maire et indiquée sur sa dernière matricule.
Plusieurs questions se posent lorsque l’on détaille ses états de service des dernières années :
- en 1889 sa deuxième campagne de pêche est très courte comparée à celles des années précédentes, à peine quelques mois, et en 1890, il ne part pas en mer et en 1891 il redevient matelot sur un autre bâtiment alors qu’il avait été patron de pêche. Que s’est-il passé en 1889 ? Le rôle de désarmement du Staydic pour l’année 1889 devrait pouvoir nous en apprendre plus s’il est disponible dans les archives.
- les dates de débarquement et d’embarquement sont extrêmement proches. Certaines années à peine débarqué il embarque de nouveau. La vie au sein de sa famille semble donc très éphémère. Le navire quitte-t-il pour autant le port à cette date ? Les rôles d’équipage devraient là encore répondre à ces questions.
D’autres histoires
Mes recherches à Brest m’ont envoyée à Toulon chercher un rôle d’équipage de 1782 mais aussi à Cherbourg pour essayer de rencontrer un arrière arrière grand-père mort très jeune sans avoir connu sa fille et ce n’est pas fini, loin de là… Retrouver ces documents redonne chair à mes ancêtres, je les imagine à bord d’un bateau avant la Révolution, à la pêche à la morue, débarquant à Marseille, prisonnier sur un ponton anglais… mais ça c’est une autre histoire…
Sources
¹SHD Brest :
- Répertoire méthodique, Navigation commerciale et recrutement des équipages, série P
- 4P3 130 – Table des mousses – matricule ouverte en 1850
- 4P3 125 – Registre des novices – Syndicat de Portrieux – matricule ouverte en 1850 – Folio 243, case 342
- 4P3 108 – Registre des matelots – Syndicat de Portrieux – matricule ouverte en 1850 – Folio 3231, case 961
- 4P3 230 – Registre des inscrits définitifs – Syndicat de Portrieux – matricule ouverte en 1883 – Folio 1549, case 3098
- 4P3 366 – Registre des hors de service – Syndicat de Portrieux – matricule ouverte en 1883 – Folio 596, case 1191
² AD22 :
- 1R 333 – Liste du tirage au sort – Arrondissement St Brieuc – Classe 1862
- 1R 132 – Liste du contingent départemental – Canton d’Étables – Classe 1862